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À l'intention de personne au monde...
4 mars 2015

Journal de Béline : Les pansements d'âme

À la maternelle d'un hôpital d’Hendaye, où j'avais été envoyée pour une longue hospitalisation qui devait améliorer ma respiration, je me suis distinguée par un talent... J’avais cinq ans, dont deux de polio qui avaient repoussé ma scolarité comme tant d'autres dans mon cas. 
Nous devions, le dimanche, faire notre courrier afin de rendre compte à nos familles de nos progrès parmi les formalités d’usage. Ceux qui étaient trop jeunes comme moi, on les faisait dessiner. Les infirmières ajoutaient les nouvelles. Après une visite à une ferme, je croquais à mes parents un poulailler. Si je voyais un marchand de cacahuètes sur la plage, j’en reproduisais un avec un âne portant des sacoches remplies de bonnes choses à manger. Et je me souviens très bien de la carte de vœux à ma mère pour le dernier Noël que je passerais au Pays basque. J’y reviendrai un autre jour.
J’adorais les couleurs. Ma maîtresse nous enseignait comment colorier avec un papier buvard. On passait le crayon dessus, et on le frottait sur le dessin. Oh, comme j'en raffolais ! Je ne sais pas les autres. Je ne leur prêtais pas attention, tant que j'étais absorbée par ma tâche.
Je chantais aussi beaucoup à tue-tête. Tout ce qui passait à la radio et me plaisait, et les comptines en classe. Avant dîner, les aides-soignantes disaient :   

   « —   Chante une chanson, Béline !
      —   ­Non.
      —   S'il te plaît, ne fais pas ta grosse tête. Allez, chante-nous Si tu vas à Rio ! »

Dario Moreno, j’aimais bien. Je prononçais les paroles à ma manière. Ça donnait : « Si tu vas à Rio, N’oublie pas de monter laïo ». Pas si mal pour la rime, non ? Mais de là à dire que j'avais déjà des velléités de poète... Toute la vie (encore aujourd'hui), j’ai traîné des défauts d'élocution, mais à Hendaye c’était enfantin, ça passait. Cela amusait mon entourage durant quelques années, mais après c'est devenu un nouveau handicap pour moi. 
Revenons à mes dîners où je poussais la chansonnette. Je finissais par céder parce que j’avais du cœur. Je préférais pourtant chanter quand cela me disait, n’importe où, dans la cour, le dortoir, la classe, libre et rêveuse. Je n’aimais pas obéir, comme la plupart des enfants. Cela n’a pas beaucoup changé une fois adulte. Je voulais comprendre par moi-même, agir sous l'emprise de la passion, mais la vie en a voulu autrement. Il n’est jamais trop tard pour rattraper le temps perdu (pardon, Marcel Proust !). Mais à soixante ans, il n’y a plus d’avenir devant soi. Néanmoins, je me dois de calmer les pleurs de l'enfant qui fait dire à Christian Bobin que "Les poètes sont des enfants ininterrompus, impossibles à élever". Et pour le faire, j'écris mes pansements d'âme.

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  • Il s'agit d'articles sur un futur livre dont le titre sera celui du blog. Mon nom, bien qu'ayant appartenu à une femme du Moyen Âge, est fictif. En fait, je suis le personnage clé de l'ouvrage en construction.
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