Journal de Beline, Sur l'Espagne

Ma tante était venue nous voir à Madrid, et nous sommes allés ensemble dans la jolie ville du bord du Tage.
Si vous vous rendez à Tolède, arrêtez-vous à son parador, s’il existe toujours. Prenez une chambre, ou déjeunez sur la terrasse pour apprécier la vue superbe et surplombante qui m’a fait dire, un jour, que Tolède était Jérusalem ou le Moyen Orient au pied de l’Europe. Une ville où, il fut un temps, musulmans, chrétiens et juifs se respectaient. Un même édifice y faisait office de mosquée, de synagogue et d’église à leurs jours de culte, il paraît.
Quand nous y étions avec ma tante, nous avons d’abord visité la cathédrale où les yeux se perdent de tant de peintures, de sculptures, d’ors… C’est pour moi l’église la plus riche que j’aie jamais connue. Puis nous nous sommes approchés de la Juiverie. Il y avait des panneaux de direction en espagnol et en hébreux, j’ai apprécié. La porte étant ouverte, nous avons fait halte à la synagogue complètement désaffectée à l’époque.
Vous entrez dans la nef, et vous êtes frappés par le vide. Vous voyez au fond la trace claire d’un probable autel et sur les côtés celles des bancs. Et puis, levez les yeux ! Que voyez-vous ? Un plafond en bois d’origine certainement mozarabe lambrissé d'arabesques et, il me semble bien, d'étoiles. Un coin d'univers en somme...
Mes souvenirs vieux de quarante ans par là ont tendance à s’effacer, bien sûr. Mais c’était à couper le souffle. Quel repos du regard après la cathédrale si fastueuse que nous venions de voir ! Il y avait une salle sur le côté, nous y sommes entrés. Au centre se trouvait une grande pierre aux allures d’une tombe, sur les côtés une rangée de présentoirs de livres en hébreu ouverts, et des graphiques et photos sur les murs évoquant la diaspora juive dans les pays d’Amérique latine.
Et surtout, mes amis, il n’y avait personne, ni dans la nef, ni dans l’"antichambre". Une sobriété et un silence étonnants et quelque peu inquiétants, car ils signifiaient pour moi encore la persécution de l’Inquisition.
Et dire que l'Espagne que j'aime tant avait vécu en paix sous l’emprise de trois religions avant le retour de la folie des hommes… Et dire que le monde actuel est en proie au même désarroi qu’au temps des Rois Catholiques.