Journal de Béline : L'existence fauchée...
Il y a ceux qui attirent les foules, les chanceux, et il y a ceux qui font fuir et se taire qui les approche, des « maraboutés » comme on a dit de moi récemment. Image qui me convient !
J’ai eu la polio. J’ai perdu beaucoup de choses et des relations. Je m’attire de drôles de gens comme ma voisine... Ma famille a ses hauts et ses bas, plus de bas, dans notre bizarre société, qui combien m'attristent.
Handicapée, refusant un foyer où j'aurais pu renouer avec mes études après mon échec, quasiment volontaire, au BEP de secrétariat auquel on m'avait forcée, j'ai préféré suivre mes parents en Espagne où j'ai choisi une voie artistique, malgré la réticence paternelle, que, hélas, j'ai dû abandonner. Au bout d'une décennie, retour subit en France – retraite et quelques soucis de mon père – alors que je commençais à faire mon trou dans ce pays que j'avais fait mien. Il n'était pas question de me laisser seule à Madrid...
Ce fut pour moi un deuil insurmontable par lequel j'ai tout quitté, l'amour, la sociabilité, mes projets d'avenir. Quoi qu'on veuille bien croire autour de moi, la terre de mes origines m'a marginalisée dès ma maladie, à compter de la mise en quarantaine de son début. Et ce retour m'a remise dans ma geôle. Il arrive que la chance parfois me sourie un petit peu mais je ne sais la retenir. Je n’arrive pas plus à y croire qu'à aimer mon pays.
Je vis enfin seule à Paris. Ma mère est morte, et mon père s'est remarié avec une Espagnole avec qui il retournera à Madrid. Il y décèdera.
J'ai un ordinateur et une connexion à Internet. Mes ambitions d'une vie normalisée éteintes, ma santé vacillante, mon handicap s'aggravant, vivant d'allocations dont j'ai parfaitement honte, je me mets à écrire contre l'oisiveté et la morosité, et dans l'esprit de régler la dette d'une existence fauchée.
(À suivre)