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À l'intention de personne au monde...
6 juillet 2015

Le square –1–(corrigé)

Je lis devant le bac à sable, où la petite Marocaine joue avec des marguerites qu’elle cueille sur les talus et aligne sur le rebord en pierre.

Deux mois avant, en passant devant l’immeuble, je l’avais vue sur sa terrasse, ma petite voisine du second au-dessus de moi. Je l’ignorais tout comme son nom, mais je crois bien qu’elle avait six ans. Je lui dis : « Bonjour ! Comment t’appelles-tu ?

— Bérangère.

Étonnant pour une Maghrébine ! Tout d’un coup, sa mère apparut à la fenêtre ouverte d’à côté sur ma gauche.

— Ne l’écoutez pas, me dit-elle. Bérangère est sa meilleure amie. Elle veut qu’on l’appelle comme elle. Mais son prénom, c’est Leila.

— C’est joli, Leila ! Je m’adressais à la gamine.

— J’aime pas.

— Comme tu veux, mais moi ça me plaît. Lui as-tu demandé à Bérangère si ça lui faisait plaisir que tu te fasses appeler comme elle ?

— Non. » Elle boudait.
Leila rentra chez elle. Mais, par la suite, elle ne me tenait pas rigueur de l’appeler comme il se doit. Aujourd’hui non plus, quand je suis rentrée dans le square et lui ai dit : « Bonjour, Leila. ». Elle a levé la tête vers moi et m’a souri. Sa mère, de l’autre côté du bac, aussi. Elle tricotait sans quitter sa fille du coin de l’œil. Elle l’avait grondée au début quand elle arrachait les fleurs, mais elle n’a pas insisté. Leila chantonnait et était si joyeuse en étalant ces chrysanthèmes des prés…
Je suis tombée, moi aussi, sous le charme des marguerites. Je les aime comme on aime un chien ou un chat. C’est aussi fort que ça, et ne me demandez pas pourquoi ! Vivant seule, sans pouvoir confier mes pensées biscornues à qui que ce soit, il m’arrive de me raconter de drôles de choses au cours de mes balades sur la Coulée Verte derrière chez moi. J’y vais fréquemment à partir de mai. Je n’ai alors de cesse de tourner ma tête émerveillée d’enfant adulte, pour lorgner mes chères fleurs des champs sur les bords de l’allée, comme le public d’un match de tennis. Pour rire, je m’étais une fois dit qu’il serait bon d’interdire aux amoureux d’effeuiller des marguerites à l’aimé(e), en prenant en plus le risque ballot de terminer par « pas du tout ». Mais notre époque n’arrête pas d’interdire. Et comme j’ai horreur de ça, je laisse tomber.
J’ai les yeux plongés dans un Jim Harrison. J’aime beaucoup les auteurs américains. Ils sont à la fois confidents et chantres de leur société. Jim Harrison se confie dans ses romans et dépeint l'Amérique magnifiquement, mais sans faire de cadeau à personne, comme Stephen King.
J’écoute aussi Pérez Prado sur mon ipod. Je sais, cela fait ringard, mais à mon âge… En tout cas, c’est du ringard génial ! Il était gay, il paraît, Damaso Pérez Prado. C’est une Cubaine, quand je vivais à Madrid, qui me l’avait dit. Elle racontait qu’à La Havane, on donnait un sens particulier à son fameux « Aaaahhh Ouh !». Je ne dirai pas quoi, c’est trop idiot et vulgaire et passible, aujourd’hui, d’un procès en France. Puis je l’aime son cri. C’est sa patte musicale. Sans lui, quid du mambo ?... Il y a plein de musiciens que j’écoutais à la radio, jeune, mais voyais peu ou jamais à la télé. Grâce aux vidéos de Youtube, j’en ai découvert des quantités. Erroll Garner, Fats Domino (j’adore son visage exsudant le bonheur), la maigreur légendaire du Mexicain Agustín Lara, qu’on surnommait, dans son pays, El flaco de oro, soit Le maigre d’or, et le très sympathique Cubain que j’écoute là dans le square.
Quelle joie, bien qu’en solitaire, de sortir de chez soi avec un baladeur aimanté aux oreilles et un roman pour s’oublier et effacer le malaise du monde de courts instants, et dans un cadre où une innocence joue avec des marguerites aussi pures que son petit cœur ! Pourvu que jamais rien ne lui retire son bonheur…

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À l'intention de personne au monde...
  • Il s'agit d'articles sur un futur livre dont le titre sera celui du blog. Mon nom, bien qu'ayant appartenu à une femme du Moyen Âge, est fictif. En fait, je suis le personnage clé de l'ouvrage en construction.
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